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Israël. La colonisation via les paradis fiscaux

mercredi 27 avril 2016

Israël. La colonisation via les paradis fiscaux
Une ONG israélienne reçoit des dizaines de millions d’euros de sources opaques pour accélérer la construction de colonies juives à Jérusalem-Est et en Cisjordanie. Enquête.
Courrier international — no 1324 du 17 au 23 mars 201
— Ha’Aretz (extraits) Tel-Aviv
Entre 2006 et en 2013, l’organisation de droite nationaliste Elad a reçu des dons d’une valeur de 450 millions de shekels [105 millions d’euros], selon le Registre israélien des organisations sans but lucratif. La plupart des dons proviennent de sociétés écrans enregistrées dans des paradis fiscaux comme les Bahamas, les îles Vierges et les Seychelles.
Elad, qui opère à Jérusalem-Est, poursuit deux objectifs : implanter des Juifs dans le faubourg arabe de Silwan [la Shiloah antique], et gérer des projets archéologiques et touristiques. Le principal site touristique est Ir David [la cité de David], qu’Elad gère pour le compte de l’Autorité israélienne des parcs et réserves naturelles. En outre, Elad s’est engagée dans une partie de bras de fer avec le gouvernement pour lancer un parc archéologique contigu au mur des Lamentations.
Certaines des sociétés identifiées financent également des groupes de droite comme le Yesha [Conseil de Judée-Samarie et Gaza, représentant légal des “colons idéologiques”]. De même, elles comptent parmi les contributeurs financiers du Premier ministre Benyamin Nétanyahou. Au moins une de ces sociétés écrans est liée à l’oligarque russe Roman Abramovitch, par ailleurs propriétaire du club de foot de Chelsea.
Sociétés écrans. D’autres entités qui participent au financement d’Elad sont le Keren Hayessod [société étatique de travaux publics], l’Agence juive et le Greater Miami Chapter of FIDF [la section des Amis de la force de défense d’Israël (FIDF) du Grand Miami]. Un autre généreux donateur d’outremer s’appelle Friends of Ir David. Installé à New York, il permet à ses donateurs américains de bénéficier de somptueuses exoné- rations fiscales. En huit ans, l’organisation a ainsi versé 122 millions de shekels [29 millions d’euros] à Elad.
Mais le gros des donations provient de sociétés écrans inscrites dans des paradis fiscaux, ce qui rend difficile l’identification de leurs propriétaires et de leurs activités commerciales. Le comble est qu’Elad a reçu un certificat de bonne gouvernance de la part du Registre israélien des organisations sans but lucratif, le tout sans avoir dû fournir l’identité de ses donateurs.
Elad gère des sites touristiques sur le mont des Oliviers, à Abu Tor [faubourg palestinien de Jérusalem] et à Arnon Ha’Natziv [faubourg juif], plus connu sous le nom de Talpiot-Est. En parvenant à acquérir des biens immobiliers et des lotissements sur le mont des Oliviers et à Silwan, Elad a considérablement intensifié l’implantation de Juifs dans ces deux faubourgs palestiniens.
Après avoir longtemps été exemptée de l’obligation de fournir l’identité des donateurs de sommes supérieures à 20 000 shekels [4 700 euros], Elad a récemment été obligée de montrer patte blanche pour la période 2006-2013, durant laquelle l’organisation a bénéficié d’une manne annuelle de 56 millions de shekels [13 millions d’euros]. Au regard de la plupart des autres ONG israéliennes, ces montants sont tout bonnement astronomiques.
Elad et ses sous-traitants emploient 97 salariés, tandis que le salaire annuel de son fondateur et directeur David Be’eri est de 366 000 shekels [86 000 euros]. D’autres recettes proviennent de fonds publics. Ainsi, Elad a reçu en 2014 1,4 million de shekels [327 000 euros] du ministère de l’Education, montant affecté à l’enseignement de la Torah, ainsi que 200 000 shekels [47 000 euros] du ministère de la Culture.
Aucune ONG israélienne n’a jamais béné- ficié de tels dons et de telles subventions. A titre de comparaison, l’Association israélienne pour les droits civiques a péniblement récolté 7,4 millions de shekels [1,7 million d’euros] de donateurs privés et de gouvernements étrangers. L’ONG de gauche Shovrim Shtika [Breaking the Silence, “Briser le silence”] a récolté un peu moins de 1,5 million de shekels [350 000 euros]. Shalom Akhshav [La Paix maintenant] a récolté 2,8 millions de shekels [655 000 euros] et l’ONG de droite nationaliste Im Tirtzu [Si vous le voulez] a récolté 1,7 million de shekels [397 000 euros].
Une ONG de droite à but non lucratif usant de paradis fiscaux et de sociétés écrans n’est pas monnaie courante, même si quelques groupes moins puissants font de même pour acquérir des biens immobiliers palestiniens en taisant le nom du véritable commanditaire de ces opérations commerciales. Sur les 275 millions de shekels [64 millions d’euros] qu’a reçus Elad de la part de sociétés offshore entre 2006 et 2013, la moitié provenait d’une seule et même société : Farleigh International Ltd. Cette société est enregistrée aux Bahamas et nul ne sait qui est à sa tête. Par ailleurs, Elad a reçu 77 millions de shekels [18 millions d’euros] du holding Leiston, enregistré à la fois aux îles Vierges et en Australie. Leiston gère également les contrats de plusieurs vedettes du football britannique
Un autre donateur de taille est la Fondation Orion, enregistrée à l’île de Man (Royaume-Uni). Rien qu’en 2013, Orion a versé 525- 000 shekels [123 000 euros]. La fondation sponsorise également le Centre Orion pour l’étude des manuscrits de la mer Morte, dépendant de l’Université hébraïque de Jérusalem, et fi nance NGO Monitor, une association qui s’est donné pour objectif de “faire la transparence” sur les ONG israéliennes de défense des droits de l’homme [considérées comme pro-palestinienne].
En acquérant des biens immobiliers, Elad a intensifi é l’implantation de Juifs dans les faubourgs palestiniens
Campagnes de Nétanyahou. Autre contributeur, la Fondation Adar, réputée pour son soutien fi nancier à des groupes de droite nationalistes et à des projets dans les implantations [colonies] de peuplement. Entre 2012 et 2015, Elad a reçu d’Adar la modique somme de 13 millions de shekels [3 millions d’euros]. Durant la même période, Ovington Worldwide Ltd., enregistrée aux îles Vierges et liée à l’oligarque Roman Abramovitch, a versé 55 millions de shekels [13 millions d’euros] à Elad. Abramovitch n’est pas le seul du club de foot de Chelsea à fi nancer les activités d’Elad : le directeur du club, Eugene Tenenbaum, fait également partie des donateurs.
Parmi les mécènes, on trouve encore la famille Falic de Miami, connue pour ses dons en faveur des campagnes électorales de Nétanyahou. Par l’intermédiaire du Fonds Segal pour Israël, les frères Simon, Jerome et Leon Falic ont versé des dons d’une moyenne annuelle de 900 000 shekels [210 000 euros]. Le Fonds Segal a été créé en 2007 dans le but offi ciel de développer les initiatives culturelles et éducatives liées à l’histoire juive et à la colonisation juive à Jérusalem et ailleurs en Israël. Les sommes permettant de fi nancer ces activités proviennent de sociétés écrans appartenant aux Falic et enregistrées au Panama. Les donations étrangères ne proviennent pas seulement de Miami. Ainsi, la Fondation Keren Ruth Bat Sarah, une ONG israélienne soutenue par le milliardaire new-yorkais Ira Rennert, par ailleurs propriétaire de Renco et fi nançant la colonisation privée en Cisjordanie, a versé en huit ans 2,3 millions de shekels [538 000 euros] à Elad. Quant au Fonds de développement juif européen, il a versé quelque 3 millions de shekels [700 000 euros].
Victimes de la Shoah. Comme on l’a déjà évoqué, un autre gros donateur est la section du Grand Miami de la FIDF, qui a contribué à hauteur de 1,3 million de shekels [304 000 euros] en 2013. Les autres branches des Amis de Tsahal à l’étranger fi nancent quant à elles l’Association pour le bien-être des soldats d’Israël. Ce qui signifi e que tous ces transferts
financiers se font avec l’approbation de l’armée israélienne.
Un autre mécène est l’homme d’affaires Noam Lanir, qui a versé en 2013 72 000 shekels [17 000 euros] à Elad. Le donateur le plus surprenant est sans doute Hashava, l’agence pour la localisation et la restitution des biens des victimes de la Shoah, qui a versé en 2006 70 000 shekels [16 000 euros] pour fi nancer les activités de colonisation d’Elad. Ha’Aretz a demandé à Elad de lui fournir des informations plus détaillées sur ses donateurs, y compris les noms, les adresses offi cielles et les personnes de contact. Selon la porte-parole de l’association Reut Wilf : “Elad opère en toute transparence envers le Registre israé- lien des organisations sans but lucratif et lui fournit toutes les données, conformément à la loi et aux règles de bonne gouvernance.”
Pour sa part, le Registre israélien nous a répondu examiner chaque année la comptabilité de pas moins de 15 000 ONG israé- liennes. “Vu le nombre d’activités que nous devons contrôler, ces examens sont généraux et ne peuvent aller au-delà de la fourniture de documents que les ONG sont tenues de transmettre selon la législation israélienne.” Le porte-parole du Registre reconnaî- tra ensuite ne faire ses vérifi cations que de manière ponctuelle et aléatoire, ou en réponse à une plainte introduite en justice. “Chaque année, le Registre israélien procède à 250 contrôles maximum [pour 15000 associations] et réagit à un millier de plaintes. Vu la masse de travail, nous manquons clairement de moyens.”
— Uri Blau et Nir Hasson Publié le 6 mars
Contexte Polémique ●●● Elad est l’acronyme hébreu d’“El Ir David” (“Vers la cité de David”), une fondation créée en 1986 par David Be’eri, ancien officier de l’unité Douvdevan – ce commando de l’armée israélienne est spécialisé dans les missions d’infiltration et les opérations de “liquidations” dans les zones urbaines palestiniennes en Cisjordanie occupée. L’objectif social de la fondation est la valorisation et la restauration du patrimoine juif ancien de Jérusalem. En utilisant le plus souvent des prête-noms, Elad est devenue propriétaire de nombreux biens immobiliers palestiniens. Elle encourage l’installation de familles israéliennes nationalistes religieuses au coeur de la vieille ville et dans ses faubourgs immédiats. Il y a deux ans, la nomination du Prix Nobel de la paix Elie Wiesel à la tête du conseil de surveillance d’Elad a fait polémique.