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« Une usine d’assassinats de masse » : le bombardement calculé d’Israël sur Gaza (1/3)

dimanche 3 décembre 2023

Cette enquête de +972 Magazine et Local Call révèle comment les choix volontaires de bombarder des cibles civiles et l’utilisation de systèmes d’IA ("Intelligence Artificielle") ont conduit l’armée israélienne à mener la guerre la plus meurtrière de toute l’histoire sur Gaza.

Source (en anglais) : https://www.972mag.com/mass-assassination-factory-israel-calculated-bombing-gaza/
Yuval Abraham, 30 Novembre 2023


La doctrine permissive de l’armée israélienne de bombarder des cibles non militaires, le relâchement des contraintes concernant les victimes civiles attendues et l’utilisation d’un système d’intelligence artificielle pour générer plus de cibles potentielles que jamais auparavant semblent avoir contribué à la nature destructrice des phases initiales de la guerre actuelle d’Israël contre la bande de Gaza, comme le révèle une enquête menée par +972 Magazine et Local Call. Ces facteurs, décrits par des membres actuels et anciens des services de renseignement israéliens, ont probablement joué un rôle dans la réalisation de ce qui a été l’une des campagnes militaires les plus meurtrières contre les palestiniens depuis la Nakba de 1948.

L’enquête menée par +972 et Local Call est basée sur des conversations avec sept membres actuels et anciens du renseignement israélien - y compris des membres du renseignement militaire et de l’armée de l’air qui ont participé aux opérations israéliennes dans la bande de Gaza assiégée - ainsi que sur des témoignages, des données et des documents palestiniens provenant de la bande de Gaza, et des déclarations officielles du porte-parole de l’armée israélienne et d’autres institutions de l’État israélien.

Par rapport aux précédents assauts israéliens contre Gaza, la guerre actuelle [1] - qu’Israël a baptisée l’opération « Épée de fer » et qui a débuté à la suite de l’assaut mené par le Hamas dans le Sud d’Israël le 7 octobre - a vu l’armée étendre significativement ses bombardements sur des cibles qui ne sont pas clairement de nature militaire. Il s’agit aussi bien de résidences privées que de bâtiments publics, d’infrastructures et d’immeubles de grande hauteur, que l’armée définit comme des « cibles centrales », selon les sources.

Le bombardement de ces cibles, selon des sources de renseignement qui ont eu une expérience directe de son application à Gaza dans le passé, est principalement destiné à nuire à la société civile palestinienne. L’objectif affiché est de « créer un choc » qui, entre autres choses, se répercutera puissamment et « conduira les civils à faire pression sur le Hamas », comme l’a dit une source.

Plusieurs de ces sources, qui ont parlé à +972 et à Local Call sous le couvert de l’anonymat, ont confirmé que l’armée israélienne dispose de fichiers sur un grand nombre de cibles potentielles à Gaza - y compris les habitations - qui incluent le nombre de civils susceptibles d’être tués lors d’une attaque. Ce nombre est calculé et connu à l’avance par les unités de renseignement de l’armée, qui savent également, peu de temps avant de lancer l’attaque, combien de civils seront effectivement tués.

Dans un cas évoqué par les sources, le commandement militaire israélien a sciemment approuvé le meurtre de centaines de civils palestiniens pour tenter d’assassiner un seul haut commandant militaire du Hamas. « Les chiffres sont passés de dizaines de mort·es civiles autorisées comme dommages collatéraux dans le cadre d’une attaque contre un haut responsable lors d’opérations précédentes, à des centaines de mort·es civiles comme dommages collatéraux », a déclaré l’une des sources.

« Rien n’arrive par hasard », a déclaré une autre source. « Quand une fillette de trois ans est tuée dans une maison à Gaza, c’est parce que quelqu’un dans l’armée a décidé qu’il n’était pas grave qu’elle soit tuée - que c’était un prix acceptable pour atteindre une autre cible. Nous ne sommes pas le Hamas ; il ne s’agit pas de roquettes tirées au hasard. Tout est intentionnel. Nous savons exactement combien de dommages collatéraux il y a dans chaque maison. »

Selon l’enquête, une autre raison du grand nombre de mort·es civiles à Gaza est l’utilisation généralisée d’un système appelé "Habsora" ("L’Évangile"), qui repose en grande partie sur l’intelligence artificielle et peut "générer" des cibles presque automatiquement à un rythme qui dépasse de loin ce qui était possible auparavant. Ce système d’intelligence artificielle, comme l’a décrit un ancien officier de renseignement, facilite essentiellement une "usine d’assassinats de masse".

Selon les sources, l’utilisation croissante de systèmes basés sur l’intelligence artificielle comme Habsora permet à l’armée de mener des frappes massives sur des résidences où vivent un seul membre du Hamas, même s’il s’agit de cadres subalternes du Hamas. Cependant, des témoignages de palestinien·nes à Gaza suggèrent que, depuis le 7 octobre, l’armée a également attaqué de nombreuses résidences privées où ne résidait aucun membre connu ou apparent du Hamas ou d’un autre groupe de résistance. Ces frappes, ont confirmé des sources à +972 et à Local Call, peuvent sciemment tuer des familles entières.

Dans la majorité des cas, ajoutent les sources, l’activité militaire supposée n’est même pas menée à partir de ces maisons ciblées. « Je me souviens avoir pensé que c’était comme si les militants palestiniens bombardaient toutes les résidences privées de nos familles lorsque les soldats israéliens rentrent dormir chez eux le week-end », a rappelé une source qui a critiqué cette pratique.

Une autre source a déclaré qu’un officier supérieur des services de renseignement a dit à ses officiers, après le 7 octobre, que l’objectif était de « tuer autant de cadres du Hamas que possible », ce qui a permis d’assouplir considérablement les critères relatifs aux meurtres et destructions collatérales. Ainsi, il y a « des cas où, sur la base d’un bornage téléphonique approximatif de la cible, nous tuons des civils. Cela est souvent fait pour gagner du temps, au lieu de faire un peu plus de travail pour obtenir une localisation plus précise », a déclaré la source.

Le nombre stupéfiant de vies humaines perdues à Gaza depuis le 7 octobre est le résultat de ces politiques. Plus de 300 familles ont perdu 10 membres ou plus dans les bombardements israéliens au cours des deux derniers mois - un chiffre 15 fois supérieur à celui de la guerre la plus meurtrière d’Israël contre Gaza, en 2014 -. À l’heure où nous écrivons ces lignes, environ 15 000 palestinien·nes ont été tué·es dans la guerre... et ce n’est pas fini.

« Tout cela est contraire au protocole utilisé par l’armée israélienne dans le passé », a expliqué une source. « On a l’impression que les hauts responsables de l’armée ont en tête leur échec le 7 octobre, et qu’ils sont occupés par la question de savoir comment donner au public israélien une image victorieuse qui sauverait leur réputation. »

‘Un prétexte pour semer la destruction’

Israël a lancé son assaut sur Gaza à la suite de l’offensive menée par le Hamas le 7 octobre sur le Sud d’Israël. Au cours de cette attaque, sous une pluie de roquettes, les militants palestiniens ont massacré plus de 840 civil·es et tué 350 soldat·es et agent·es de sécurité, kidnappé environ 240 personnes - civils et militaires - à Gaza, et commis des violences sexuelles généralisées, y compris des viols, selon un rapport de l’ONG Médecins pour les droits humains en Israël. [2]

Dès les premiers instants qui ont suivi l’attaque du 7 octobre, les responsables israéliens ont ouvertement déclaré que la réponse serait d’une ampleur totalement différente des précédentes opérations militaires à Gaza, avec pour objectif déclaré d’éradiquer totalement le Hamas. « L’accent est mis sur les dégâts et non sur la précision », a déclaré Daniel Hagari, porte-parole de l’armée, le 9 octobre. L’armée a rapidement traduit ces déclarations en actes.

Selon les sources qui ont parlé à +972 et à Local Call, les cibles à Gaza de l’aviation israélienne peuvent être divisées en quatre catégories.

 La première est celle des « cibles stratégiques », qui comprend les cibles militaires standards telles que les groupes de combattants armés, les entrepôts d’armes, les lance-roquettes, les lance-missiles antichars, les zones de lancement, les bombes-mortier, les QG militaires, les postes d’observation, etc.

 La seconde concerne les « cibles souterraines », principalement les tunnels que le Hamas a creusés sous les quartiers de Gaza, y compris sous les habitations civiles. Les frappes aériennes sur ces cibles peuvent entraîner l’effondrement des maisons situées au-dessus ou à proximité des tunnels.

 La troisième catégorie est celle des « cibles centrales » [3], qui comprend les immeubles de grande hauteur et les tours résidentielles au cœur des villes, ainsi que les bâtiments publics tels que les universités, les banques et les administrations. Selon trois sources de renseignement qui ont participé à la planification ou à la conduite de frappes sur des cibles centrales dans le passé, l’idée derrière ces frappes est qu’une attaque délibérée contre la société palestinienne exercera une "pression civile" sur le Hamas.

 La dernière catégorie est celle des « domiciles familiaux ». L’objectif déclaré de ces attaques est de détruire des résidences privées afin d’assassiner un seul résident soupçonné d’être un cadre du Hamas ou du Jihad islamique. Cependant, dans la guerre actuelle, des témoignages palestiniens affirment que certaines des familles tuées ne comprenaient aucun membre de ces organisations.

Au début de la guerre actuelle, l’armée israélienne semble avoir accordé une attention particulière aux 3ème et 4ème catégories de cibles. Selon les déclarations faites le 11 octobre par le porte-parole de l’armée israélienne, au cours des cinq premiers jours de combat, la moitié des cibles bombardées (1329 / 2687) étaient des cibles centrales.

« On nous demande de chercher des immeubles dont un demi-étage peut être attribués au Hamas », a déclaré une source qui a participé aux précédentes offensives israéliennes dans la bande de Gaza. « Parfois, il s’agit du bureau du porte-parole d’une cellule du Hamas ou d’un lieu où les cadres se réunissent. L’existence de ce demi-étage est en fait un prétexte qui permet à l’armée de causer beaucoup de destructions à Gaza. C’est ce qu’on nous a dit.
Si on disait au monde entier que les bureaux du Jihad islamique au 10ème étage sont une cible sans importance, mais que leur existence est une justification pour détruire toute la tour dans le but de faire pression sur les familles civiles qui y vivent afin de faire pression sur les organisations terroristes, ça serait aussi considéré comme du terrorisme. Donc on ne le présente pas comme ça », a ajouté la source.

Diverses sources ayant servi dans les unités de renseignement de l’armée ont déclaré qu’avant la guerre actuelle, la doctrine de l’armée ne permettait de bombarder des cibles centrales qu’après avoir prévenu les résident·es, pour détruire des bâtiments vides. Cependant, des témoignages et des vidéos en provenance de Gaza suggèrent que, depuis le 7 octobre, certaines de ces cibles ont été attaquées sans que leurs occupant·es en soient informé·es au préalable, ce qui a entraîné le meurtre de familles entières.

Le ciblage à grande échelle des domiciles familiaux peut être déduit de données publiques et officielles. Selon le Bureau des médias gouvernementaux de Gaza - qui fournit des bilans des victimes depuis que le Ministère de la Santé de Gaza a cessé de le faire le 11 novembre en raison de l’effondrement des services de santé à Gaza - au moment où la trêve temporaire est entrée en vigueur le 23 novembre, Israël avait tué 14 800 palestinien·nes à Gaza, dont environ 6 000 enfants et 4 000 femmes, ce qui représentent plus de 67% du total. Ces chiffres fournis par le Ministère de la Santé et le Bureau des médias gouvernementaux - qui relèvent tous deux du gouvernement du Hamas - sont similaires aux estimations israéliennes.

Le Ministère de la Santé de Gaza ne précise d’ailleurs pas combien de mort·es appartenaient aux branches militaires du Hamas ou du Jihad islamique. L’armée israélienne estime avoir tué entre 1000 et 3000 combattant·es palestinien·nes armé·es. Selon les médias israéliens, certains sont morts enterrés sous les décombres ou dans le système de tunnels souterrains du Hamas, et n’apparaissent donc pas dans les décomptes officiels.

Les données de l’ONU pour la période allant jusqu’au 11 novembre, date à laquelle Israël a tué 11 078 palestinien·nes à Gaza, indiquent qu’au moins 312 familles ont perdu 10 personnes ou davantage, dans la guerre actuelle. À titre de comparaison, lors de l’opération « Bordure protectrice » en 2014, 20 familles de Gaza avaient subi cette situation. Au moins 189 familles ont perdu entre 6 et 9 personnes selon les données de l’ONU, tandis que 549 familles ont perdu entre 2 et 5 personnes. Aucune actualisation de ces chiffres n’a encore été fournie pour les victimes après le 11 novembre.

Les attaques massives contre des cibles centrales et des domiciles familiaux ont eu lieu au moment où l’armée israélienne a appelé, le 13 octobre, les 1,1 million d’habitant·es du Nord de la bande de Gaza (principalement Gaza-Ville) à quitter leurs maisons et à se rendre dans le Sud. À cette date, un nombre record de cibles centrales avaient déjà été détruites et plus de 1000 palestinien·nes avaient déjà été tué·es, dont des centaines d’enfants.

Au total, selon l’ONU, 1,7 million de palestinien·nes, soit la grande majorité de la population de la bande de Gaza, ont été déplacé·es à l’intérieur de Gaza depuis le 7 octobre. L’armée a affirmé que la demande d’évacuation du Nord de la bande de Gaza visait à protéger la vie des civils. Les palestinien·nes, quant à elleux, perçoivent ce déplacement forcé comme une nouvelle Nakba — un projet de déportation et de colonisation du territoire.

‘Ils ont détruit cet immeuble pour le plaisir de détruire un immeuble’

Selon l’armée israélienne, au cours des cinq premiers jours de combat, elle a largué 6000 bombes sur la bande de Gaza, pour un poids total d’environ 4000 tonnes. Des quartiers entiers ont été détruits. Selon Al Mezan, ONG palestinienne pour les droits humains basée à Gaza, ces attaques ont entraîné la destruction complète de quartiers résidentiels, la destruction d’infrastructures et le massacre d’habitant·es.

Comme le montrent Al Mezan et de nombreuses images de Gaza, Israël a bombardé l’université islamique de Gaza, l’association du barreau palestinien, un bâtiment de l’ONU abritant un programme éducatif destiné aux étudiant·es exceptionnel·les, un bâtiment appartenant à la société de télécommunications palestinienne, le ministère de l’économie nationale, le ministère de la culture, des routes et des dizaines de buildings et d’appartements, en particulier dans les quartiers nord de Gaza.

Au 5ème jour des combats, le porte-parole de l’armée israélienne a distribué aux reporters de guerre en Israël des images satellites "avant et après" de quartiers du Nord de la bande de Gaza, tels que Shuja’iyya et Al-Furqan (surnommé d’après une mosquée de la région), qui montrent des dizaines de maisons et d’immeubles détruits. L’armée israélienne a déclaré avoir frappé 182 cibles centrales à Shuja’iyya et 312 cibles centrales à Al-Furqan.

Omer Tishler, le chef d’état-major de l’armée de l’air israélienne, a déclaré aux reporters de guerre que toutes ces attaques avaient une cible militaire légitime, mais aussi que des quartiers entiers avaient été attaqués « à grande échelle et non de manière chirurgicale ». Notant que la moitié des cibles militaires jusqu’au 11 octobre étaient des cibles centrales, le porte-parole de l’armée a déclaré que « des quartiers qui servent de repaires de la terreur du Hamas » ont été attaqués et que des dégâts ont été causés à des « QG opérationnels », des « bases opérationnelles » et des « pièces utilisées par des organisations terroristes à l’intérieur d’immeubles résidentiels ». Le 12 octobre, l’armée israélienne a annoncé qu’elle avait tué trois « membres importants du Hamas », dont deux faisaient partie de l’aile politique du groupe.

Pourtant, malgré les bombardements israéliens effrénés, les dommages causés à l’infrastructure militaire du Hamas dans le Nord de la bande de Gaza au cours des premiers jours de la guerre semblent avoir été négligeables. En effet, des sources du renseignement ont déclaré à +972 et à Local Call que les cibles militaires qui faisaient partie des cibles centrales ont été utilisées à maintes reprises comme prétextes pour blesser la population civile. « Le Hamas est présent partout dans la bande de Gaza ; il n’y a pas un bâtiment qui n’ait pas quelque chose du Hamas, donc si vous voulez trouver un moyen de transformer une tour en cible, c’est toujours possible », a déclaré un ancien responsable des services de renseignement.

« Ils ne frapperont jamais un immeuble sans qu’il y ait quelque chose que nous puissions définir comme une cible militaire », a déclaré une autre source des renseignements, qui a déjà mené des frappes contre des cibles militaires. « Il y aura toujours un étage du bâtiment associé au Hamas. Mais dans la plupart des cas, lorsqu’il s’agit de cibles centrales, il est clair que la cible n’a pas une valeur militaire qui justifie une attaque visant à faire s’écrouler l’ensemble du bâtiment vide au milieu d’une ville, à l’aide de six avions et de bombes pesant plusieurs tonnes. »

En effet, selon des sources qui ont été impliquées dans l’identification des cibles centrales dans les guerres précédentes, bien que le dossier d’une cible contienne généralement une sorte d’association présumée avec le Hamas ou d’autres groupes militants, l’attaque fonctionne principalement comme un « moyen qui permet de causer des dommages à la société civile ». Les sources ont compris, certaines explicitement et d’autres implicitement, que les dommages causés aux civils sont le véritable objectif de ces attaques.

En mai 2021, par exemple, Israël a été fortement critiqué pour avoir bombardé la tour Al-Jalaa, qui abritait d’importants médias internationaux tels qu’Al Jazeera, Associated Press et l’AFP. L’armée a affirmé que le bâtiment était une cible militaire utilisée par le Hamas ; des sources ont déclaré à +972 et à Local Call qu’il s’agissait en fait d’une cible centrale.

« L’idée, c’est que cela fait vraiment mal au Hamas quand des immeubles sont détruits, parce que cela crée une réaction publique dans la bande de Gaza et effraie la population », a déclaré l’une des sources. « On veut donner aux habitants de Gaza le sentiment que le Hamas ne contrôle pas la situation. Parfois, l’armée a détruits des logements, parfois des services postaux et des bâtiments du gouvernement. »

Bien qu’attaquer plus de 1000 cibles en cinq jours soit sans précédent pour l’armée israélienne, l’idée de provoquer une dévastation massive des zones civiles à des fins stratégiques a été explicitée lors de précédentes opérations militaires à Gaza, précisée par la "doctrine Dahiya" de la deuxième guerre du Liban en 2006.

Selon cette doctrine - élaborée par l’ancien chef d’état-major de l’armée Gadi Eizenkot, qui est aujourd’hui parlementaire à la Knesset et fait partie de l’actuel cabinet de guerre - dans une guerre contre des groupes de guérilla tels que le Hamas ou le Hezbollah, Israël doit utiliser une force disproportionnée et écrasante tout en ciblant les infrastructures civiles et gouvernementales afin de dissuader et de forcer la population civile à faire pression sur ces groupes pour mettre un terme à leurs attaques. Le concept de « cibles centrales » semble émaner de cette même logique.

La première fois que l’armée israélienne a défini publiquement des cibles centrales à Gaza, c’était à la fin de l’opération « Bordure protectrice » en 2014. L’armée a bombardé quatre bâtiments au cours des quatre derniers jours de la guerre - trois immeubles résidentiels de plusieurs étages dans la ville de Gaza, et une tour d’habitation à Rafah -. Les services de sécurité ont expliqué à l’époque que ces attaques avaient pour but de faire comprendre aux palestinien·nes de Gaza qu’iels « ne sont plus à l’abri nulle part » et faire pression sur le Hamas pour qu’il accepte un cessez-le-feu. « Les éléments que nous avons recueillis montrent que la destruction massive de ces bâtiments a été menée délibérément et sans aucune justification militaire », indiquait un rapport d’Amnesty à la fin de l’année 2014.

Dans le cadre d’une autre escalade violente qui a débuté en novembre 2018, l’armée a de nouveau attaqué des cibles du pouvoir. Cette fois, Israël a bombardé des buildings, des centres commerciaux et le bâtiment de la chaîne de télévision Al-Aqsa, affiliée au Hamas. « Attaquer des cibles centrales produit un effet très important sur l’autre camp », avait alors déclaré un officier de l’armée de l’air. « Nous l’avons fait sans tuer personne et nous avons veillé à ce que le bâtiment et ses environs soient évacués. »

Les opérations précédentes ont également montré que le fait de frapper ces cibles n’a pas seulement pour but de saper le moral des palestinien·nes, mais aussi de remonter celui des Israélien·nes. Haaretz a révélé que lors de l’opération « Gardien des murs » en 2021, le service de communication de l’armée a mené une opération psychologique contre les citoyen·nes israélien·nes afin de les solidariser aux opérations militaires à Gaza et aux dommages causés aux palestinien·nes. Les soldat·es, qui ont utilisé de faux comptes pour dissimuler l’origine de la campagne, ont partagé des images et des clips des frappes de l’armée à Gaza sur Twitter, Facebook, Instagram et TikTok afin de vanter les prouesses de l’armée au public israélien.

Au cours de l’assaut de 2021, Israël a frappé 9 immeubles définies comme des cibles centrales. « L’objectif était de faire s’effondrer les immeubles afin d’exercer une pression sur le Hamas et de donner au public israélien l’image d’une victoire », a déclaré une source de sécurité à +972 et à Local Call.

Toutefois, poursuit cette source, « cela n’a pas fonctionné. Ayant suivi les réactions du Hamas, j’ai entendu de première main qu’ils ne se souciaient absolument pas des civils qui ont été tués et des bâtiments qui ont été démolis. Parfois, l’armée a trouvé dans un immeuble quelque chose lié au Hamas, mais il aurait également été possible de frapper cette cible spécifique avec des armes plus précises. En fin de compte, ils ont détruit cet immeuble pour le plaisir de détruire un immeuble. »

Article traduit avec l’aide de DeepL.

Suite de l’article : « Une usine d’assassinats de masse » : le bombardement calculé d’Israël sur Gaza (2/3)


[1Voir le dossier de +972 : https://www.972mag.com/topic/octobe...

[2« Physicians for Human Rights-Israël », une ONG israélienne pour les droits humains dont le président / fondateur est un soutien du mouvement BDS

[3« Power targets », des infrastructures importantes dans l’organisation urbaine de Gaza